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Notes éparses sur Pierre Jean Jouve 


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Jouve par Han Ryner

Juvenilia (Quatrième livraison)


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Documents recueillis par C. Arnoult

Voir aussi

Réédition :

Cahiers des Amis
de Han Ryner

Trimestriel
Nouvelle Série 1958
Numéro 50
3ème trimestre
p. 21-22

Han RYNER :

P.-J. JOUVE : Poème contre le grand crime.


(Edition de la revue Demain)


L'expérience est une puissance parfois paralysante. Quand je ne connaisais dame Censure que de réputation, j'aurais loué hardiment le noble poème de Jouve ; j'aurais dit avec quelle tranquillité à quel point les sentiments qu'il y exprime sont nos sentiments. Hardiment, en toute sérénité et en toute clarté : si les poètes sont en général bien incapables de dévoiler aucun secret militaire ou diplomatique, celui-ci semble ignorer de haut diplomatie et art militaire. Ainsi à peu près le Dieu d'Aristote ignore le monde et le généralissime ignore la stratégie des fourmis. Plus encore que Romain Rolland, Jouve habite ici« au-dessus de la mêlée ».


Mais les ciseaux officiels sont plus impertinents qu'on ne croirait avant d'aller y voir.

Je tiens à ma réputation de politesse, et j'emploie le mot impertinent dans son sens étymologique. Je veux dire que MM. les Censeurs s'occupent de détails qui, d'après la loi, ne relèvent point d'eux. On nous révélait, voici quelques jours, une inattendue«censure des moeurs» . Les journalistes politiques éprouvent, s'ils ne sont point réactionnaires, qu'il existe, malgré les promesses de la loi, une censure politique. Je me suis heurté à plusieurs reprises à une bien singulière censure et qu'on croyait morte depuis l'inquisition, la censure philosophique. Constatons avec un sourire que les gens auxquels on accorde une autorité quelconque sont assez portés à en abuser. C'est humain, comme on dit en argot parisien. L'autorité est une vaillante et une conquérante ; elle élargit continument les frontière qu'on crut lui imposer. L'homme revêtu d'une autorité, il faudrait qu'il eût un esprit bien solide pour ne point s'attribuer peu à peu une compétence universelle. Le devoir d'un bon citoyen, aux yeux de la police, sera toujours de penser comme la police de son pays.


La philosophie de la Censure n'a rien de commun, on le devine, avec la doctrine de Tolstoï. Or, P. J. Jouve est un poète tolstoïen aussi nettement et plus sincèrement que le Richepin qui avait du talent était un poète blasphémateur et touranien. Il met en épigraphe à son nouveau livre une belle et profonde parole du grand moraliste russe. Le censeur de service l'appliquera, je suppose, aux atrocités allemandes. Il craindra aussi de paraître effaré et craintif comme un ignorant devant un mot que tout le monde connaît et qui vient, ne l'oublions pas, d'un allié :« Le mal terrible est dans cette idée qu'il peut exister pour un homme quelque chose de plus sacré que la loi de l'amour du prochain. » Jouve emprunte une autre épigraphe à Shakespeare. Encore un allié. Shakespeare sûrement (Debout les morts !) pensait au gouvernement germanique et à la discipline prussienne quand il écrivait :« C'est la peste des temps que les fous conduisent les aveugles. » 


Le poème de Jouve se divise en quatre parties : Au soldat tué, A la Belgique, Chant del'hôpital, Tolstoï. Si l'on ose choisir dans l'excellent, on préfèrera, comme plus complets et plus profonds, non point certes de sentiment, mais de pensées, le premier morceau et le dernier. La censure ne me permettrait pas de citer ce que j'aime le plus. Les deux poésies centrales sont moins censurables. Devant tout le commencement de l'hymne A la Belgique, les ciseaux officiels claqueraient comme le bec joyeux du pélican qui croit apercevoir l'ombre d'un poisson, ou comme des mains qui applaudissent. Hélas ! cela ne se soutient pas jusqu'au bout. Je ne pourrais montrer qu'un côté, le moins intéressant, de la pensée de Jouve ; il me seraiy interdit d'indiquer comment la fin du poème complète le commencement et rétablit le plus noble des équilibres.


Mais tous les coeurs, même celui de M. le Censeur de service, ne battront-ils pas avec le coeur du poète, quand il chante, douloureux et vaillant, ses émotions d'hôpital?



Je ne vois plus de vérités hors de ces souffrantes vérités.
Je ne vois plus d'autres vérités que d'apaiser le malade
Et de patiemment vivre afin qu'il vive.


Jouve est un ami de la vie. Il l'aime avec une tendresse délicate et à la fois avec une passion jalouse. Ecoutez "la chanson bien douce" qui ne change que pour vous émouvoir et pour vous instruire :



Combien la vie serait belle, si même elle n'avait aucun sens.
Et combien elle est belle en celui qui possède en plus le sens.
Et se connaît frère et coeur commun
Avec toute chose qui vit !


Quelques rapides que soient ces citations, elles me dispenses de dire ce qu'il y a de science souple dans le vers libre, ou, plus exactement, dans le verset de Jouve. On sent aussi combien sa voix est pénétrante et touchante. Ceux mêmes qui condamnent ses pensées et ses sentiments doivent avoir grand'peine à se défendre de l'aimer. Pour moi, tout frémissant et sonore de cette voix fraternelle, je pleure presque de ne pouvoir répéter celles de ses paroles qui me troublent et me charment le plus.


HAN RYNER

Remerciements
à Mikaël Lugan



C. Arnoult
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Sous la responsabilité de Béatrice Bonhomme et Jean-Paul Louis-Lambert

Première mise en ligne : 30 janvier 2012

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