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Notes éparses sur Pierre Jean Jouve 


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Juvenilia

(Première livraison)

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Textes recueillis par Mikaël Lugan

Lecteurs du jeune Jouve

Jouve a renié ses œuvres publiées avant 1925. Il avait pourtant beaucoup publié, en revues et en volumes. Il avait été lu et avait reçu l'accueil d'un vrai public. Dans des revues étaient parues des critiques sur ces œuvres qui furent interdites de rééditions.

Nous donnons ici des témoignages de l'accueil des livres du jeune Jouve par ordre chronologique de publication des œuvres.

Nous respectons les formes des noms propres donnés par les revues, sans les faire suivre du traditionnel (sic). 

Voir aussi
Cette livraison
1910 : Les Muses romaines et florentines
1911 : Les Ordres qui changent
1911 : La Rencontre dans le carrefour
1912 : Les Aéroplanes
Les Treize
1912 : Présences
1912 : Les directions de la littérature moderne

1920 : Romain Rolland vivant
1922 : Tragiques, suivi de Voyage sentimental


1910 Les Muses romaines et florentines (A. Messein)


PAN
3e année, n°9, septembre-octobre 1910
« Les Poèmes »,
 (p. 794-795)

En l’honneur de ruines glorieuses et de défuntes mythologies, M. Pierre-Jean Jouve propage des odes et des chants. Il célèbre la Voie Appienne en dépit de l’avenue Henri Martin, nous vante l’exèdre alors qu’on est si bien sur un sopha, et préconise la Pœcile de la villa d’Adrien, Pœcile qui ne vaut pas le Musée du Louvre. De superbes vocatifs, des exclamations orgueilleuses ponctuent l’envol puissant de ces poèmes descriptifs dont l’ampleur verbale et colorée dissimule un vide sans fond. Ce sont des chants d’apothéose exaltant en mètres magnifiques des beautés traditionnelles et trop communes. Cette richesse apparente pallie mal une absence totale du sujet, une pauvreté psychologique. Les Parnassiens décrivaient froidement des formes extérieures et de positives apparences ; M. Pierre-Jean Jouve reprend cette esthétique à laquelle il joint son enthousiasme tout littéraire. C’est un Parnassien retardé, mais excité.

Marcel Rieu


MERCURE DE FRANCE
(dir. : Alfred Vallette)

T. LXXXVIII - n°324 -
16 décembre 1910

Les Poèmes

 A Rome, en sortant de la Chapelle Sixtine, M. Pierre Jouve « embrassa d’un seul regard sa vie nouvelle et son esprit désormais réglé par lui-même » ; il dut, « à ce monument du génie humain de s’être senti, dans une seule minute, plein de passion et de clarté tout ensemble ». Par delà la Renaissance italienne, qui lui avait ouvert l’accès d’un monde magnifique, il remonta le fleuve des jours jusqu’aux sources helléniques, disciple ensemble de Boileau et de Pindare, de Michel-Ange et de Phidias, de M. Emile Verhaeren, de Jean Moréas et d’Emmanuel Signoret ; il a l’ambition de restaurer sous la norme d'un ordre inviolable la fureur divine des lyriques primitifs. Mais il n’aurait pas été frappé par la révélation romaine et florentine, s’il n’avait, dès longtemps, été nourri de l’œuvre d’Emmanuel Signoret ; il en avait goûté la fougueuse ordonnance et le sage tumulte ; il apporte à son maître d’élection un juste tribut d’hommages et quand il composera des poèmes d’un accent plus personnel, il pourra ne pas renier les strophes inspirées par le souvenir de son œuvre :


Si tu n’as pas tremblé dans ce Temple terrible,
Si l’antique fureur des trompes de l’Eté
Dont s'enfle l'horizon ne t’a trouvé sensible ;
Si du mont dont Moïse emplit l’aridité
Ou bien du Parthénon dans l’azur immuable
Tu n’as cru posséder les déserts admirables ;

Si l’émotion n’a pas enivré ton esprit
Avec le chœur nombreux de ses ondes superbes,
Quand pour toi la splendeur de la voûte s’ouvrait,
De figures gonflée, comme une énorme gerbe ;
Si tu n’as pas brandi, lyre tonnant en toi,
Ta pensée vers la Forme offerte à ton étreinte,
Alors ce dur Esprit ne t’impose sa loi
Qui voit naître son chant formé à son empreinte.

Sans doute, le Chant des Trompettes d’Eté emplit toujours nos oreilles reconnaissantes : l’écho même en est ici fidèle ; mais nous voudrions, plus tard, ouïr M. Paul-Jean Jouve et nous désirerions qu’ayant accepté les leçons les plus conformes à son propre génie il se présentât en sa nue simplicité, sans être couvert par les ombres protectrices des demi-dieux qu'il évoque.

Pierre Quillard


LE THYRSE,
3e Série, 12e année, n°7,
mars 1911

G. M. Rodrigue : Les Poèmes (p. 256-257)

Pierre Jean Jouve : Les muses romaines et florentines (Paris, Léon Vanier, fr. 3.50)

Dans une précédente chronique, je notais, chez les poètes, un effort vers plus de discipline, une tendance significative vers plus d’unité ; la génération nouvelle pourtant ne peut faire retour en arrière et renier es acquets du passé. Aussi Pierre-Jean Jouve a tort de vouloir renouer la tradition du XVIIe siècle : je n’en veux pour preuve que ses vers qui illustrent certes très mal la préface de son livre.

C’est à Rome que M. Jouve a découvert en lui le désir de plus d’harmonie, et le besoin de se soumettre « aux forces éparses qui convergent aujourd’hui pour nous imposer des lois ».

Michel-Ange lui a appris ce qu’était la « fureur » cette puissante émotion que les anciens prêtaient aux oracles et que, chez les poètes, l’on pourrait appeler le lyrisme. Aussi Jouve écrit : « Mon art poétique, sous le principe général du nombre marque le retour à la raison du grand siècle français avec l’introduction du lyrisme classique ».

Malheureusement, chez Jouve, le lyrisme est bridé ; comme Moréas, « il craint le lyrisme, comme un hôte dont on ne prévoit pas tous les gestes » ; son beau désir de passion et de clarté échoue devant « l’excellence des nombres ».

M. Jouve qui se réclame de Boileau est un mauvais élève, puisqu’il a commis des vers comme ceux-ci, dont le 3ème n’a pas moins de 13 syllabes(1).

Ici donc s’élevaient le portique éclatant,
De cent colonnes nues le cortège élégant,
Le Pœcile athénien, rivage d’harmonie
Où de l’ombre et du jour les nymphes sont unies.

Devant pareille poésie, qui ne préfèrerait l’anarchie, surtout si elle se trouve dans l’œuvre d’un vrai poète comme Charles Vildrac…

G. M. Rodrigue

(1) L'auteur de cette note malveillante ne semble pas savoir que "Pœcile" se prononce /pe.sil/, ou bien que Jouve prononçait "nien" (dans "athénien") de façon "moderne", en une seule syllabe (ainsi dans ses lectures radiophoniques de 1950) : le vers de Jouve compte bien douze syllabes. (Note de l'éditeur de cette page, JPLL).


1911Les Ordres qui changent (Figuière)


LE DIVAN
(dir. : Henri Martineau)

3e année - n°24 - septembre [?] 1911
« Les Chroniques : Les Poèmes »
M. Pierre-Jean Jouve, artiste original, analyse avec minutie la suite des hallucinations que lui cause l’éther. Son tableau a sans doute de grandes qualités cliniques d’exactitude et de nouveauté. La science y glanera peut-être ; mais je cherche en vain, en dépit des dons imagés de l’auteur, ce qu’y gagne la poésie.

H[enri]. M[artineau].   


1911La Rencontre dans le carrefour (Figuière).

MERCURE DE FRANCE
(dir. : Alfred Vallette)

T. XCII - n°340 - 16 août 1911

Les Romans

La Rencontre dans le carrefour
, par Pierre-Jean Jouve. S’il est dur de combattre avec son cœur, il doit être bien plus dur de se battre contre le bon sens. J’ai en vain cherché la raison de la cruauté de ce jeune homme vis-à-vis de cette jolie personne passionnée ; le cœur avec lequel on combat a probablement, plus que l’autre, des raisons qu’on ne connaît pas, mais il me semble que la volonté d’être un Monsieur très fort, s’associant aux gestes de la ville, c’est-à-dire voulant une place dans cette même ville, ne suffit pas à prendre le droit de rayer une créature de la trop petite foule des heureux de ce monde. « Pauvre amoureuse ! s’écrie-t-il, je n’ai pour elle aucune haine ! » Il ne manquerait plus que cela à ce petit marquis de Sade de l’intellectualité. Je sais que les jeunes filles bien sages qui viennent du fond de la province n’ont pas la ruse coutumière des Parisiennes pour éconduire le suiveur et qu’elles sont, en général, habillées d’une manière assez ridicule ; pourtant ce ne sont pas des filles, elles sont plus proches de la femme vraie que les vraies Parisiennes qui sont essentiellement courtisanes, à vendre ou à louer. Cette Claire Dernault devient, entre les mains de ce virtuose, la pauvre demi-vierge dont on parle dans les demi-salons, mais elle n’a pas la vocation, elle est ce qu’il veut la faire et elle rêverait encore plus d’un mari que d’un amant si rempli de tendres réticences. Donc, cette Claire Dernault, provinciale, jusqu'à un certain point naïve, n’est nullement coupable. Ce monsieur Santelier la débauche, la sacrifie à ses expériences personnelles et s’en tire en déclarant qu’il n’a aucune haine pour la pauvre amoureuse. Moi, le spectateur indifférent, encore beaucoup plus indifférent que lui, je trouve sa victime très supérieure à lui. Elle a vécu selon son absolu, n’a rien à se reprocher sinon d’avoir mal placé son premier amour et, en somme, si elle vivait en Angleterre, elle aurait peut-être le droit de réclamer le prix de… son innocence cérébrale. Maintenant, le roman est intéressant, psychologique à souhait et coupeur de fil en quatre. L’auteur était libre de choisir ce sujet de la provinciale pervertie par un provincial très amateur de la ville (Rome, Paris, ou tout autre grand centre d’exploitation… artistique), il était libre surtout de ne pas finir son histoire par le banal dénouement du mariage. Ce que je redoute, moi, c’est le littérateur qui va sortir de ce héros de roman… Pourvu que (Claire mariée peut y songer en souriant) que… que… il n’y ait aucune impuissance dans son cas ?

Rachilde

 
LE DIVAN
(dir. : Henri Martineau)

3e année - n°25 -
octobre [?] 1911

« Les Chroniques :
Les Romans »

M. Pierre-Jean Jouve est atteint d’unanimisme. C’est aussi bien porté que la langueur en 1830, ou l’appendicite il y a dix ans. Oui, mais c’est aussi plus intéressant et plus varié. L’auteur nous expose ainsi son idée maîtresse : « Concevoir Paris comme un vaste organisme cellulaire n’est pas seulement inventer une belle image ; c’est toucher à la réalité d’une conscience qui s’élabore au-dessus des hommes, et dont la psychologie serait seulement à définir. » Et c’est une contribution à cette psychologie que M. Jean-Jouve a tentée dans un roman assez artistement fouillé. Mais s’il n’a voulu que préciser l’influence du milieu sur l’âme molle de son héros et la sensibilité impressionnable de son héroïne, pense-t-il que, de Stendhal à M. René Boylesve, nos meilleurs romanciers aient attendu le vocabulaire de M. Jules Romains pour y réussir !

H[enri]. M[artineau].   

 
PAN
Revue libre paraissant tous les mois

5e année - n°3 - mars-avril 1912


Les Livres
(p. 254)

Quel dommage que M. Pierre Jean Jouve ait « plaqué » sur son roman des pages unanimistes ; car c'est bien du placage que toutes ses théories qui n’ont rien à voir avec l’action, et y nuisent même beaucoup. Le livre sans cela eût été parfait ; l’étude des deux héros est finement faite, leurs gestes véridiquement notés ; les premiers émois de la chair chez l’amoureuse, qui, sensuelle, refuse cependant de se donner entièrement ; le jeune homme, croyant à une banale aventure, rencontrant une vierge, tout nous prend et nous intéresse. Mais soudain quelques phrases sur l’influence de l’ambiance nous arrêtent et nous déçoivent. Ah ! que cela est factice, artificiel, voulu ; et si purement cérébral, loin de la vie.

Le style correct, souple et harmonieux, a lui aussi le même défaut ; des images peu justes nous choquent. Il est à souhaiter que M. Pierre Jean Jouve oublie l’unanimisme et tout son fatras verbal, pour devenir ou plutôt pour se réaliser tel qu’il est, un écrivain de talent.

Jean Clary


LA SOCIÉTÉ NOUVELLE
17e année, 2e série, n°2,
août 1911 – «  Les Livres  »,
(p. 218)

La Rencontre dans le Carrefour, par Pierre-Jean Jouve (Paris, E. Figuière  ; prix  : 3 fr. 50). – Je n’apprécie guère le roman de Pierre-Jean Jouve, banale histoire d’amour sensuel, qui se plaît surtout à décrire les éveils vicieux de la caresse charnelle. Je ne vois rien ici qui me rappelle Daphnis et Chloë, et je songe plutôt à ces livres plus ou moins médicaux, dont les titres, naguère, firent rougir mes quinze ou seize ans…

Pierre-Jean Jouve n’a pas fait pourtant œuvre libidineuse  ; il effleure, comme son héros, du reste, les phases de la passion  ; mais malgré son style souvent élégant, je ne crois pas qu’on puisse considérer La Rencontre dans le Carrefour comme un vrai bon roman. N’oublions pas que l’auteur débute…

Maurice Gauchez


1912 Les Aéroplanes 

Figuière et Cie, 2 fr.
L'Intransigeant
N° 11510
Vendredi 19 janvier 1912

Rubrique "Boîte aux lettres" tenue par "Les Teize"

Ce titre de poèmes de Pierre-Jean Jouve est bien moderne et il est difficile de le répéter sans sympathie. Le thème est celui-ci : une journée d'été où la foule attend des vols d'aéroplanes et deux envols.

Pour développer ce thème, P.-J. Jouve a eu recours à la formule unanimiste. Formule qui aura vite vieilli, car elle fournit toujours les mêmes mots : "Foule, unie, unanime, corps multiplié, augmenté, gonflé, dilaté, communique, assemblée, Dieu qui germe", et tout le vocabulaire qui s'applique à la foule anthropomorphe.

Mais P.-J. Jouve y a mis de l'art, de l'émotion, du mouvement, et surtout des images neuves et riches, et il a créé une oeuvre vivante :


La machine monte sur un dôme de cris
    Que hache son moteur mordant l'air
C'est quand ses roues ont bondi hors du gazon court
    Qu'une angoisse inconnue de nos chairs
Les a creusées en tournoyant ; quand le grand corps,
    Tendant l'or fixe de ses élytres
A quitté d'un coup notre monde, pour l'immense
    Domaine où nous ne sommes pas nés,
    Celui où nos mystères s'étaient réfugiés.

Les Treize

Les Treize
A la question : "Qui étaient les Treize", Mikael Lugan nous a répondu :
« "Les Treize" étaient-ils treize ? A l'origine, peut-être... puis, ce fut une équipe d'une presque trentaine de collaborateurs, dont les noms ne sont pas tous connus. La première apparition des Treize dans l'INTRAN date de novembre 1909. Leur "chef" était Fernand Divoire. On compta parmi eux : André Billy, Guillaume Apollinaire, Louis Thomas, Alain-Fournier, Ernest Gaubert, André du Fresnois, etc. »

Boîte aux Lettres : Notre referendum

Boîte aux Lettres :
Notre referendum

«Pour qui voteriez-vous si vous étiez membre du Jury chargé d'attribuer la Bourse nationale de voyage à un volume de vers paru depuis le 16 avril 1910?»
Suite des réponses :
L'Intransigeant
N° 11608
Vendredi 26 avril 1912

Rubrique "Boîte aux lettres" tenue par "Les Treize"
Messieurs

On a coutume, n'est-ce pas, d'attribuer la Bourse de Voyage à un débutant ?

Ma voix ira donc à P.-J. Jouve, l'auteur des Ordres qui changent et des Aéroplanes.

Et si je ne prononçais point le nom de Georges Chennevière ou celui de Charles Vildrac, c'est qu'il me paraîtrait indécent d'offrir un erécompense juvénile à des poètes d'un talent aussi mûr et d'une réputation aussi établie.

Votre dévoué confrère,

Jules Romains


L'Intransigeant
N° 11616
Samedi 4 mai 1912

Rubrique "Boîte aux lettres" tenue par "Les Treize"

                Mes chers confrères

La Bourse du Voyage doit, à mon avis, être attribué à un poète jeune et faisant malgré sa jeunesse preuve d'originalité. On me dit que M. Pierre-Jean Jouve, dont je goûte la très moderne conception poétique, a le grand bonheur de n'être pas chargé d'ans. Je voterais pour lui.

Bien confraternellement,

Yvanhoë Rambosson


Yvanhoë Rambosson (1872-1943), Poète, critique d'art, co-fondateur en 1903 du Salon d'automne, conservateur du Petit Palais.



MERCURE DE FRANCE
(dir. : Alfred Vallette)

T. XCV - n°353 -
1er mars 1912

Les Poèmes

L’évolution de P.-J. Jouve donne de la confiance et de l’étonnement. Tenté d’abord par la mystérieuse maîtrise de Mallarmé, il composa, voici quelques années, des vers subtils qui témoignaient déjà d’un sens poétique des plus affinés. En 1910, P.-J. Jouve donna les Muses romaines et florentines, qui affirmaient un retour vers le classicisme de Moréas. Après un silence motivé, ce poète nous a fait lire deux poèmes : les Ordres qui changent et les Aéroplanes, qui nous mettent au fait de décisions vigoureuses et efficaces. J’ai tout lieu de croire que P.-J. Jouve a désormais trouvé son orientation.

Les Aéroplanes forment, à mon sens, moins un poème qu’un excellent exercice poétique, quelque chose comme un recueil de croquis pris directement, sur le vif ; les souvenirs qu’un homme garderait d’une journée ardemment tissue d’étonnements et de découvertes.

C’est lorsqu’il sera en possession de tout un amas de documents semblables que P.-J. Jouve édifiera avec certitude le poème que nous promettent des dons remarquables et une vive intuition de l’avenir.

Il y a des strophes excellentes dans les Aéroplanes ; il y a des notations rudes, brutales, mais significatives.

Nous sommes encore assez étonnés par tout ce qu’il y a de neuf dans les émotions de l’aérodrome pour comprendre Jouve lorsqu’il parle si curieusement des aviateurs :

Ils existent maintenant dans un autre monde,
Celui-là que nous avons toujours désiré,
Comme nous désirons, avec nos regards secs,
L’eau dans la vitre profonde des aquariums.


Mais je ne retiendrai, de ces cris de surprise, que la réelle aptitude de l’écrivain à percevoir des choses éternelles qu’il nous exprimera complètement quelque jour.


Georges Duhamel


VERS ET PROSE

(dir. : Paul Fort)

T. XXVIII

janvier-février-mars 1912

Critiques et Notes

Les Poèmes



M. Pierre Jean Jouve ne célèbre point seulement les gloires florentines et les muses romaines. Il est encore sensible à la beauté moderne, à la force intelligente et à l’audace lyrique d’un aéroplane. Il l’en faut louer. Son poème les Aéroplanes chante l’héroïsme d’une mécanique qui sous la main de l’homme bondit et plane dans le ciel. Nos Icares actuels ont trouvé en M. Jouve un chantre digne de leur audace. 


Tancrède de Visan




1912
 Présences
(Georges Crès et Cie, à Paris)
L'Intransigeant
N° 11616
Samedi 4 mai 1912

Rubrique "Boîte aux lettres" tenue par "Les Treize"

Ces vers sont très intéressants à lire, très instructifs, car on y découvre facilement ce qui constitue l'esprit et les procédés de l'unanimisme. On le lit lentement, attentivement, pour en goûter les images, qui sont recherchées et manquent seulement d'une expression plastique.

De ces vers se dégage cette doctrine que tout est une âme, une vie, un dieu. Le poète recherche des relations entre ces "âmes" qui se compénètrent. Il montre par exemple la locomotive dans l'âme de l'enfantqui l'a vue. Cela n'est pas sans rapport avec la peinture cubiste ou la sculpture futuriste.

Le poète, pour faire comprendre ces transformations d'âmes les unes par les autres, est amené à user du vocabulaire de la physique et à faire appel aux notions de densité, de masse, de pesanteur, de force, de dilatation, de fusion, etc...

Tel est le mécanisme de la machine poétique de M. Jouve. Il faut lire son livre si l'on veut savoir si et comment il était possible de la faire fonctionner, avec du talent et de l'imagination.

Les Treize



LE DIVAN

43e Année
novembre-décembre 1912

Les Chroniques - Les Poèmes

M. P.-J. Jouve conçoit tout différemment la poésie. Certes ses Présences ne se déchiffrent pas toujours avec aisance. Il arrive même que le lecteur s’irrite contre cette méthode délibérément « offensive ». Mais M. Jouve, non plus que ses amis MM. Romains, Duhamel et Arcos, se soucie peu d’un succès facile ; et si la paresse intellectuelle de « l’adversaire » (M. Duhamel nomme ainsi le lecteur innocent) parfois se fatigue et se dérobe, il est juste de reconnaître que la ferme constance de ces écrivains leur donne droit à quelque effort de notre part. Et d’abord nous sommes obligés d’estimer leur beau désintéressement et leur volonté soutenue ; nous ne saurions refuser notre admiration à leur conscience. Il ne s’agit plus là des sanglots à la Musset, de crépuscules nostalgiques et de roses mouillées. Nous passons dans la métaphysique. On nous propose une doctrine.

Le monde extérieur n’est plus seulement le cadre traditionnel, et commode pour nos menues émotions. Derrière ses apparences mobiles vivent des âmes. Elles luttent et se mêlent, se « compénètrent », oserais-je dire comme on l’a dit, si ce mot affreux ne m’épouvantait. Ces âmes absorberaient la nôtre, si de lui-même le jeu de notre instinct ne les réduisait. Bientôt nous les contiendrons toutes en nous :

En toi pénétrera d’abord le Soleil lourd
Qui est une présence immense sur les hommes…
Puis tu contiendras des passants aux jambes dures,
Une rue qui s’arrache à ses maisons et coule,
Des trains qui crient très haut à l’instant de mourir…

Déjà nous serons des hommes. Nous pourrons enfin nous « propager dans tous les sens ». Loin de nous diminuer, cette dispersion nous accroîtra. Car tout est Dieu.

J’ignore si je résume à contre-sens l’« unanimisme » qu’affirme ce poème. J’avoue l’avoir lu avec une passion parfois satisfaite, car souvent ces images colorées m’ont ouvert de larges fenêtres sur « le monde clair ».

Francis Éon.



Journal non identifié

Ces vers sont très intéressants à lire, très instructifs, car on y découvre facilement ce qui constitue l'esprit et le procédé de l'unanimisme.  On les lit lentement, attentivement, pour en goûter les images, qui sont recherchées et manquent seulement d'une expression plastique.

  De ces vers se dégage cette doctrine que tout est une âme, une vie, un dieu. Le poète recherche des relations entre ces "âmes" qui se compénètrent. Il montre par exemple la locomotive dans l'âme de l'enfant qui l'a vue. Cela n'est pas sans rapport avec la peinture cubiste ou la sculpture futuriste.

  Le poète, pour faire comprendre ces transformations d'âmes les unes par les autres, est amenée à user du vocabulaire de la physique et à faire appel aux notions de densité, de masse, de pesanteur, de force, de dilatation, de fusion, etc...

  Tel est le mécanisme de la machine poétique de M. Jouve. Il faut livre [sic] son livre si l'on veut savoir si et comment il était possible de la faire fonctionner, avec du talent et de l'imagination."

[Chronique sans doute écrite par Francis Éon]


MERCURE DE FRANCE
(dir. : Alfred Vallette)

T. XCIX - n°368 -
16 octobre 1912

Les Poèmes
(à compléter)

Georges Duhamel


FLAMBERGE

Revue Belge de Littérature & de Sociologie (Mons)

1ère année

N°8 – février [?] 1913

 

Chronique des Poèmes

p. 474-475

L’art de M. P.-J. Jouve est volontairement sec, net, dur, mathématique et précis. Cet auteur ignore l’émotion, ou plutôt il la contient, il la refoule, il la soumet à l’analyse, il lui enlève tout ce qui faisait sa saveur et sa force, il la décompose, il la dissèque, elle n’existe plus. Sur tous les faits, il prétend exercer le contrôle de son intelligence. Il n’admet aucun mouvement spontané de l’âme, aucun instinct trouble de la conscience, aucun obscur émoi du cœur. Il examine, pèse, juge, mesure, évalue, se repère, assigne à chaque chose sa limite et le voici très fier en présence de lui-même : il n’a laissé aucun détail dans l’ombre, l’instant ne peut plus le surprendre, ni l’événement le troubler, il se connaît entièrement, - mais cela veut-il dire qu’il se comprenne ?
Voici un exemple de cette poésie. Il s’agit de décrire un jardin au matin :

La chaleur à la peau ne pèse pas encore ;
On la remue avec ses mains, aussi légère,
Aussi mouvante et dilatée que la lumière.
C’est une qualité qui vit au fond du vent,
Qui réunit avec un amour grandissant
Le toit moussu, les troncs nus qui tiennent leur branches,
Le gazon enflammé et les roses béantes,
Et les aiguilles de bois rouge que le pin
Laisse tomber dans la densité de son ombre.

Sous mon pas naïf un bruit rugueux dans le gravier.
Mon corps devient ici la courbe du chemin
Taché de clair, entre ses murs de sapin frais ;
Et plus loin, la feuillée soumise à la chaleur,
Par delà le creux étouffant de la tonnelle
Où le soleil pleut dans un bourdonnement d’ailes.

Certes je ne dédaignerai pas un art si nouveau, si curieux, si original et si personnel. Mais dans quelle mesure, cette œuvre qui n’a plus rien de poétique puisque le libre jeu des désirs et des rêves, toute ivresse, toute passion, tout élan, toute exaltation, en un mot tout lyrisme en est soigneusement exclu, dans quelle mesure cette œuvre nous concerne-t-elle ? M. P.-J. Jouve nous offre le résultat de ses expériences, mais elles ne nous intéressent pas, tout au plus peuvent-elles nous servir d’exemple, encore ne sommes-nous pas certains d’y arriver aux mêmes conclusions que lui. Il a travaillé pour lui, non pour nous. Et en somme, nous en sommes réduits à admirer dans ce livre, la hardiesse et la nouveauté des procédés, ainsi que l’habileté, l’adresse et la science de celui qui les emploie.

Lucien Christophe


VERS ET PROSE

(dir. : Paul Fort)

T. XXXI octobre-novembre-décembre 1912
Critiques et Notes
La Poésie

L’art de M. Jouve est fait d’une série de combinaisons de sensations accouplées dans un rythme intérieur. Le poète voit moins des objets isolés que des ensembles. Par une série de transpositions assez hardies le monde extérieur s’identifie à l’âme du poète, et, d’autres fois, cette âme s’incarne dans les choses et se matérialise. Il y a là un procédé fort curieux, cher à la doctrine unanimiste, et capable d’effets très neufs. Malgré une grande richesse d’images, il faut mettre M. Jouve en garde contre le danger de faire lourd en soudant entre eux des rapports d’idées trop éloignés et en synthétisant brutalement des états psychologiques trop complexes. Ceci dit, je suis tout prêt de reconnaître en M. Jouve un poète plein de formules nouvelles qui nous donnera de beaux vers s’il veut bien filtrer un peu plus ses images et ne pas nous les lancer trop violemment en paquets. 

Tancrède de Visan



1912Les Directions de la Littérature Moderne

VERS ET PROSE

(dir. : Paul Fort)

T. XXXI octobre-novembre-décembre 1912

Critiques et Notes

Echos littéraires

« Les conférences de Charles Vildrac à Londres »

Les 4, 7 et 11 novembre dernier, M. Charles Vildrac a fait à Londres, à la « Grafton Galerie » trois conférences sur la poésie française moderne.

La première était consacrée à Paul Verlaine ; la seconde intitulée Art et art académique, à Verhaeren, Paul Claudel, Paul Fort, Maeterlinck, Henri de Régnier, Jammes et Moréas ; la troisième à quelques poètes nouveaux : René Arcos, Chennevière, Duhamel, P. J. Jouve, Jules Romains, André Spire.

Au cours de chaque conférence des poèmes furent lus par M. Jacques Copeau, le plus merveilleux Lecteur qui soit, et que les lettrés anglais, enchantés, mirent largement à contribution.


***

Précédemment M. P. J. Jouve avait prononcé, sous le titre : Les Directions de la Littérature Moderne, une conférence à la Société Académique des Belles-Lettres, Sciences et Arts de Poitiers. Il parla en termes savants et parfaits des Œuvres de Verhaeren, Francis Jammes, Paul Fort, Jules Romains, Georges Duhamel et Charles Vildrac. Mme Blanche Albane, pour les récitations, lui prêta le concours de son admirable talent.

M. C.


1920
Romain Rolland vivant


Les jeunes amis de Romain Rolland

L’Humanité, n°6233,
17 avril 1921, p. 4

Stephan Zweig. Romain Rolland. Der Mann und das Werk.

P.-J. Jouve. Romain Rolland vivant (Ollendorff), 12 fr.

Marcel Martinet. Pages choisies de Romain Rolland (Ollendorff), 15 fr.


(extraits)


Encore que j'aie eu la surprise d'entendre quelques jeunes gens de la nouvelle génération révolutionnaire déclarer  : «  Nous ne pouvons pas, nous ne pouvons plus être rollandistes  », ils doivent être nombreux de par la malheureuse Europe ruinée et déshonorée, de par le monde entier qui souffre sans vouloir désespérer, ils doivent être nombreux, sur les décombres où gisent des millions de leurs aînés, de leurs contemporains, de leurs cadets, les jeunes hommes qui se sentent les fils spirituels de l'homme puissant et solitaire, héros de la liberté, de la vérité, de la bonté.

Jeunes amis, proches ou lointains, inconnus ou connus, pudiques et timides, avoués ou non, ils doivent être nombreux ceux dont les yeux du cœur et de l'esprit sont fixés sur cette «  image lumineuse  » qui brille au ciel de l'esprit contemporain, comme la lumière de la chambre exiguë, où il vécut en Suisse pendant la guerre, brillait dans la nuit, telle une étoile conductrice. (Pierre-Jean Jouve.)

(...)
Pierre-Jean Jouve, voici quelques mois déjà, fit paraître Romain Rolland vivant  ; puis Stephan Zweig, Romain Rolland, l'homme et l’œuvre  ; et voici tout récemment Marcel Martinet avec des Pages choisies de Romain Rolland qui dépassent leur titre documentaire et vulgarisateur et sont une œuvre personnelle d'une grande valeur littéraire et philosophique.

De Pierre-Jean Jouve et de Marcel Martinet, nous savons les poèmes passionnés, révoltés, pathétiques, nés de leur propre souffrance et de la souffrance du monde. Nous savons le terrible et violent Hôtel-Dieu, les amères et déchirantes Heures de la Nuit de Jouve et la colère de sa Danse des Morts.

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L'Introduction de Martinet et les chapitres du livre de Jouve intitulés Sur la Révolution, l'Evolution de la Pensée, l’Action sont des morceaux excellents de critique et d'histoire d'un esprit, et qui font honneur aux facultés spéculatives des deux disciples de l'auteur du Théâtre de la Révolution, de la Vie des Hommes Illustres et d'Empédocle d'Agrigente.

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Avec Jouve et Martinet nous réfléchissons, passionnément, intensément à ces angoissants problèmes et cela n'est pas le moindre mérite de leurs livres, et peut-être la moindre récompense de leur effort, que de nous avoir aidés à mieux comprendre, à mieux, connaître, par conséquent à mieux aimer.

Je, ne comparerai pas, je ne choisirai pas entre eux. La fermeté et la pénétration de l'analyse sont, chez l'un comme chez l'autre, baignées de tendresse, d'admiration, d'enthousiasme, d'amour.

«  Qui donc dira qu'il l'aime, sinon le cœur de l'ami, écrit Jouve si justement alors qu'on l'a tellement abreuvé de calomnies, d'outrages, alors qu'on l'a tellement insulté et haï. »

«  J'aurai rempli mon but si l'ouvrage aide à répandre ce bienfaisant conseil de force, de force loyale dans la vérité pour la libération de l'homme. » (Martinet.)

«  Si ce scrupuleux travail peut faire entendre certaines de ses pensées intimes, bienfaisantes et vivantes, j'ai le devoir de l'écrire aujourd'hui. » (Jouve.)

(...)

Louise BODIN



1922Tragiques, suivi de Voyage sentimental

LA PENSEE FRANCAISE

(dir. : Alain Ducreux)

Libre organe de propagande nationale et d’expansion française

3e année - n°45 -

24 février 1923

« Bloc-note des Lettres et des Arts : à travers les poèmes »

Tragiques, suivis du Voyage Sentimental par Pierre-Jean Jouve (Stock édit.) est un livre original et sincère, un acte de foi, un cri de révolte contre la pitoyable humanité, un cri de fraternelle sympathie aussi envers ceux qui peinent, souffrent et exhalent la misère des temps. Il se dégage un âpre réalisme, un matérialisme amer de ces strophes sombres qui s’insurgent, sont tachées de boue et de sang, lèvent les relents corrompus de la mort, et les vomissements immondes de la guerre. Il faut lire Tragiques. Cela rappelle Baudelaire et Barbusse. Cela empoigne comme l’appel désespéré d’un supplicié. Cela réveille la clarté des consciences et [lignes manquantes] jet ; l’œuvre ne s’attardant ni à la rime, ni à la césure ; mais tellement fouillée, tellement « nue » qu’elle s’impose à l’attention.

Pierre-Jean Jouve, frère littéraire de Noël Garnier, est un de ces poètes dont s’effrayent les bourgeois. Lisez, au hasard :

« Il y avait encore un café lépreux
Posé en suçoir au bord des casernes,
Et que le désert du jardin public
Protégeait de nuit perclue sous les gaz.
Comme le lieu même horrible et divin
Du sexe des femmes.

« J’aurais tout donné pour oser ouvrir
La porte où filtrait le café-concert,
Pour boire des yeux, dans leurs écrins noirs
Sentant l’urine et l’amour,
Vingt filles bien nues et poilues.

« C’était ici l’Apocalypse,
Il se tordait en postures,
Une larve de baisers
Polluait l’humanité ».

R[ené]. S[paeth].
Pour savoir qui est Noël Garnier
on peut lire un de ses poèmes sur le site dormira jamais



Mikaël Lugan est le webmestre des Fééries intérieures. Il publie le Bulletin des Amis de Saint-Pol-Roux. Il collabore également au site des Amateurs de Remy de Gourmont.  Bulletin des Amis de Saint-Pol-Roux N° 4
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Nouvelle mise à jour : 18 septembre 2012

Précédentes mise à jour : 14 juin 2011, 6 octobre 2011
Mise à jour antérieure : 9 février 2009