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Lire Hécate aujourd'hui

Pierre Jean Jouve - Hécate suivi de Vagadu - L'Imaginaire - 2010

Hécate
suivi de Vagadu

réédition en Imaginaire/Gallimard


Décembre 2010

Ressources de cette page 

L'intervention orale de Marie Etienne (France Culture)

Des citations de François Weyergans ("Le Pitre") et de Martine Broda

Une lecture par J.-P. L.-L. 

Une bibliographie


Un entretien de Marie Etienne avec Geneviève Huttin

L'intervention orale de Marie Etienne dans sa « Nuit Rêvée »

France Culture , nuit du 10 au 11 novembre 2012

Lors de sa présentation, Geneviève Huttin compare la succession des deux narratrices dans le roman de Marie Étienne, "L'Inconnue de la Loire",

Marie Etienne - L'Inconnue de la Loire - La Table ronde

avec la succession d'une narratrice et d'un narrateur dans le roman de Pierre Jean Jouve, "Hécate", le premier volet d' "Aventure de Catherine Crachat". Marie Étienne intervient :

Marie Etienne : « Je suis très touchée que vous rapprochiez L'Inconnue de la Loire d'Hécate. Moi je ne m'y hasarderais pas, j'ai une telle admiration pour la prose de Jouve. Je dois dire, au risque de choquer ceux qui aiment sa poésie, que je suis plus intéressée par sa prose que par sa poésie ; peut-être, est-ce parce que je connais moins bien sa poésie, mais vraiment Aventure de Catherine Crachat, les deux volumes d'ailleurs, Hécate et Vagadu, sont pour moi du grand  art romanesque. Jouve écrit là d'une façon qui est vraiment unique, en mêlant plusieurs tons : le précieux et grandiose ; le familier et presque voyou ; la narration est d'une rapidité et d'une virtuosité telle qu'on se sent soit dans Catherine Crachat, soit dans l'esprit de Jouve, soit dans l'esprit d'un autre personnage. Et surtout - mais je ne sais pas s'il faut dire "surtout" - la perception des personnages, leurs sentiments, leurs relations sont d'une extrême profondeur, évidemment cette profondeur vient de la connaissance que Jouve avait de la psychanalyse. Pourtant dans une des émissions de Michel Manoll - je ne sais si ça sera entendu là - Jouve déclare d'une façon très étrange, "je me fous de la psychanalyse !" Je suppose que ça signifie : ce que je veux qu'on voit en moi, c'est un écrivain, et non pas un spécialiste de la psychanalyse. Je suppose, parce qu'autrement on ne comprendrait pas très bien. Voilà, exprimée en peu de mots mon admiration pour Jouve. »

 France Culture - Logo

   

François Weyergans

(de l'Académie française),
Le Pitre, Gallimard,
1973, p. 327

« A la même époque, il faut qu'on le sache, Eric Wein annonçait que le plus grand romancier vivant répondait au nom de Pierre Jean Jouve mais qu'il n'écrivait plus de romans depuis longtemps. Charlotte néanmoins les acheta à cause des titres : Hécate, Vagadu, Paulina 1880, et les lut en cachette pour ne pas qu'Eric s'enorgueillisse de constater qu'elle l'écoutait. »



Martine Broda

Entretien avec Danielle Cohen Levinas sur le Site du Nouveau Recueil

Il y a toujours une part de hasard dans la rencontre. Et la chance du temps. Ainsi, j’ai lu celui des romans de Jouve que je considère comme le plus fascinant, Hécate, à seize ans, trop tôt pour pouvoir l’apprécier. Mais deux ans plus tard, dans une anthologie, celle de Pierre Seghers, je découvris les poèmes d’Hélène, et à partir de là j’ai lu tout Jouve, dans une allégeance absolue.

Décembre 2010

Lire Hécate aujourd'hui, par J.-P. L.-L.

L'Imaginaire/Gallimard réédite en un seul volume deux romans de Pierre Jean Jouve, Hécate — qui date de 1928 — et Vagadu — qui date de 1931. Comment lire aujourd'hui Hécate, un roman peu connu du grand public qui, souvent, ne connaît que le premier roman de Jouve, Paulina 1880 ?

« Rhythm becomes the instrument of contagion, and the fluidity of the images flows directly into the subconscious without interference ».

Anais Nin, Journal, 2, 1934-1939

Ce qui frappe à la première lecture d'Hécate, c'est sa vivacité. Parce que l'héroïne, Catherine Crachat — dite « Catharina » — est une très belle actrice de cinéma qui accumule les expériences amoureuses. Parce que les phrases sont brèves. Parce que l'action est rapide. Parce que, s'il y a de l'empathie pour les personnages, c'est surtout l'exceptionnelle « fluidité des images » (Anais Nin) qui domine. Règne aussi un humour détaché, spécifique à Jouve, entre ironie et humour noir.

Aventure de Catherine C - Fanny Ardant - Hanna Schygulla

Déjà l'ouverture de Paulina 1880, « La chambre bleue », annonçait (30 ans avant) le style descriptif — car apparemment froid — du « Nouveau roman ». Ici dans Hécate, ce sont les glissements du sujet de la narration qui anticipent sur les jeux de la narration moderne, comme dans les futurs Roi sans divertissement de Giono et Le Ravissement de Lol V. Stein de Marguerire Duras. Depuis longtemps, Philippe Raymond-Thimonga émet l'hypothèse que Marguerite Duras avait lu attentivement Jouve — Mais Marguerite Duras ne parle jamais de ses prédécesseurs français immédiats: cite-t-elle le roman de Giraudoux Suzanne et le Pacifique quand elle écrit l'histoire d'une jeune héroïne qui s'appelle «Suzanne» dans un roman qui s'appelle Barrage contre le Pacifique ?

Dans Hécate, QUI parle ? Un narrateur anonyme ? Un des autres personnages du roman ? Catherine Crachat elle-même ? Et qui est ce « vous » à qui s'adresse Catherine Crachat ? Un amant ? Son psychanalyste ? Le lecteur ?
Fanny Ardant (Catherine Crachat) et Hanna Schygulla (Fanny Felicitas) dans Aventure de Catherine C, film de Pierre Beuchot (1990)

Hécate est une sorte de Chronique romanesque « en spirale » qui se passe en un temps encore très moderne, même pour le lecteur d'aujourd'hui. Car le temps du roman, c'est celui où les femmes exposent leur liberté (j'allais écrire « explosent ») —, où les hommes avouent leurs faiblesses. Un temps où des amours variées peuvent s'afficher, que ce soit pour l'homme de toute une vie, ou pour la passade d'une seule nuit. L'héroïne trouve son grand amour, Pierre Indemini, dans un atelier d'artiste de la rue Jacob à Paris. Elle le perd lors d'un cocktail mondain — il se tient trop près de « la Cogan », une actrice américaine aux « seins élastiques ». Elle ne sait pas qu'elle le retrouvera à Vienne chez une aristocrate passionnée, Fanny Felicitas.

Jean-Pierre Martin - Eloge de l'apostasie - Essai sur la vita nova - Seuil - 2010

Des amours passionnées comme en raconte Marguerite Duras, après qu'elle a connu sa « vita nova » (expulsion du PCF en 1950) et qu'elle se concentre sur des histoires passionnelles — qui critiquent, comme le dit Jean-Pierre Martin, l'action politique trop asservie à un parti.

La « vita nova » de Jouve a pour date officielle : 1925, quand il quitte un engagement politique et humaniste honorable (pacifiste) et quand il renie une première oeuvre estimable, pour une plongée dans son intériorité — et écrire ses chefs-d'oeuvres.

Jean-Pierre Martin
Eloge de l'apostasie
Essai sur la vita nova
Seuil (2010)

Hécate c'est la rencontre de trois personnages mythiques : la belle Catherine Crachat — quel nom pour « une créature de douleurs » ! — qui s'interroge sur le sens de sa vie chaotique ; le fin Pierre Indemini, mathématicien et artiste, fragile ; et la baronne Fannie Felicitas Hohenstein « à la vitalité terriblement indécente » qui semble ne pas pouvoir se passer de collectionner les maris, les amants et les amantes — ne parlons ni de son fils, ni des suicides. Mais ce n'est pas une pièce de boulevard, c'est un roman contemporain des « garçonnes » et des films muets de Gréta Garbo et de Louise Brooks. Ces femmes libres semblent être des « femmes fatales » (comme le suggèrent les initiales de Fanny Felicitas), mais le titre est explicite, comme l'a écrit Jouve : « Pendant cette partie de sa vie, elle est Hécate, Diane infernale, face fatidique de la lune. Le malheur qu'elle engendre ... » entraîne ses proches vers la mort. 


A la deuxième lecture, on s'interroge sur ces histoires qui, dans leurs fonds sont tragiques, mais qui sont menées littérairement avec allégresse… Derrière la vivacité de l'écriture, des figures tragiques se meuvent en arrière-plan, ce qui illustre la déclaration de Jouve aux Cahiers du Cinéma sur la correspondance entre ses romans et le cinéma :  « rapidité du tragique ». Le lecteur moderne sait que Jouve était marié avec Blanche Reverchon, une psychanalyste qui fait le lien entre la première génération d'analystes freudiens — Marie Bonaparte, Rudolph Loewenstein, Adrien Borel, René Laforgue (qui ont psychanalysé Lacan, Bataille, Leiris, Queneau,...) — et celle de Lacan dont elle était l'amie. Dès 1923 Jouve connaît Freud de première main. Il prend alors conscience de l'origine de ses propres angoisses et de ses « imaginations »,

« le rêve est une seconde vie »,

a écrit Nerval  — mais l'écrivain doit les transposer dans l'œuvre d'art. Pourquoi la vie de Catherine Crachat semble-t-elle se dérouler dans un flottement onirique perpétuel ? Pourquoi est-elle aussi séduisante ?

Doit-on affirmer que les personnages qui souffrent tant des débordements de leur inconscient sont diablement fascinants ! Pourquoi ? Parce qu'ils débordent d'émotions et que Jouve a le talent de nous plonger au cœur de ces émotions.





La suite d'Hécate a été publiée trois ans plus tard, c'est Vagadu (1931). Mais ce roman, très original, si moderne — et même « expérimental » —, n'est pas une chronique romanesque comme Hécate, il exige plus d'attention de la part du lecteur. On pourrait dire qu'à quatre-vingt pour cent (certains commentateurs ont tenté de quantifier ce texte), il s'agit de digressions oniriques connues par l'héroïne pendant sa psychanalyse avec « Monsieur Leuven ». Dans ce personnage on reconnaît Rudolph Loewenstein, psychanalyste de la première génération à Paris, ami de Marie Bonaparte, analyste de Blanche Reverchon et de Jacques Lacan (qui s'est brouillé avec lui), et plus tard, quand il devra s'exiler aux États-Unis, d'Arthur Miller, le mari de Marilyn Monroe.


Impossible de résumer Vagadu, ce récit est trop foisonnant, mais il apparaît que Catherine Crachat est dépressive ; elle se croit frappée de stérilité. On est alors tenté de faire une lecture rétrospective d'Hécate, et de voir dans Pierre Indemini, Fanny Felicitas et Catherine Crachat des incarnations de la très créative, vivace et dynamique pulsion de mort de l'héroïne. 


Grâce aux biographies que l'on a aujourd'hui sur Jouve (Daniel Leuwers, Béatrice Bonhomme), on sait que lorsque Jouve a connu Blanche Reverchon, il a très mal vécu sa séparation et son divorce d'avec sa première épouse, Andrée Charpentier-Jouve. Andrée était une grande militante pacifiste et féministe — et une épouse amoureuse.


Quand Jouve met en scène des trios « à l'équilibre instable » (Christiane Blot-Labarrère), aux destins tragiques, écrit-il en 1928 un « plagiat par anticipation » (non répertorié par Pierre Bayard) des romans de Duras ?

Et quand Paul Morand publie Hécate et ses chiens en 1954, se souvient-il de Jouve ?


Je conclurai en citant Philippe Raymond-Thimonga : « quelles qu'aient été les influences (plus ou moins profondes et inavouées) de Jouve sur ses illustres cadets, l'auteur d'Hécate est bien un auteur moderne, un auteur d'aujourd'hui et de demain, car le temps de ses romans est celui des émotions lucides, le temps, terriblement vif et audacieux, des sentiments éternels. »


Jean-Paul Louis-Lambert

Les Biographies de références
  sur Pierre Jean Jouve

Béatrice Bonhomme - Pierre Jean Jouve - La quête intérieure - éditions Aden- 2008
Daniel Leuwers - Jouve avant Jouve - Klincksieck - 1984
René Micha - Jouve - Seghers - 1956
Béatrice Bonhomme
Pierre Jean Jouve
La quête intérieure
Éditions Aden (2008)

Daniel Leuwers
Jouve avant Jouve ou la naissance d'un poète
Klincksieck (1984)
René Micha
Pierre Jean Jouve
Seghers (1956)
Poètes d'aujourd'hui

Pages sur le Site Pierre Jean Jouve
Ouvrages sur les Romans de Pierre Jean Jouve
Atelier du Roman N° 56 - Pierre Jean Jouve
Jean Decottignies - Pierre Jean Jouve Romancier - Corti
Simonne Sanzenbach - Romans de PJJ - Vrin
Atelier du Roman N° 56
Pierre Jean Jouve
Voyage au bout de la psyché
Flammarion/Boréal (2008)
N° conçu par Philippe Raymond-Thimonga
Jean Decottignies
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José Corti (1994)
Simonne Sanzenbach
Les Romans de Pierre Jean Jouve
Le romancier en son miroir
Librairie philosophioque Vrin (1972)
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Sous la Responsabilité de Béatrice Bonhomme et Jean-Paul Louis-Lambert

Derniers compléments : 14 novembre 2012 et 17 mai 2013
Dernière mise à jour : 17 avril 2012
Précédente mise à jour : 3 février 2011
Première édition : 29 Janvier 2011