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Jouve - Portrait par Serge Popoff
Lectures de
Pierre Jean Jouve

L_Etrangere_No_31-32-2013
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Regard sur Les Beaux Masques
(bonnes feuilles)

par François Lallier

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de François Lallier


un ensemble encore inconnu

L’édition en 1987 de l’Œuvre (I et II) de Pierre Jean Jouve au Mercure de France, due à Jean Starobinski, permettait de découvrir, parmi les « textes non inclus par P. J. Jouve » du second tome, un ensemble encore inconnu, précédé d’une courte note éditoriale avertissant que « le manuscrit de ce texte inédit avait été confié par Pierre Jean Jouve à M. René Micha qui a bien voulu le mettre à la disposition du Mercure de France pour les besoins de la présente édition », et d’une « Présentation » par celui qui en avait été, à une date et dans une intention qu’il ne précise pas, le dépositaire. Jean Starobinski, dans la partie « Notes et documents / Textes retranchés » du  classe le texte dans l’intertitre « Autobiographie et prose poétique » du volume II, et annonce en ces termes les pages secrètes, fidèlement préservées, qu’il publie sous le titre Les Beaux Masques, choisi et soigneusement calligraphié par l’auteur sur la première page, reproduite en fac-similé.

Jean Starobinski


Quant au manuscrit des Beaux Masques, confié personnellement par Pierre Jean Jouve à René Micha, il est tout ensemble un dossier en vue d’une œuvre, et cette œuvre même dans une élaboration très avancée. Jouve entendait assurer la survie de ce manuscrit et l’a donc remis en mains sûres, comme pour le tenir en réserve, dans la marge de l’œuvre. Accordons-lui, pour le moins, le statut d’un reliquat. Les considérations d’ordre privé qui imposaient le secret n’interviennent plus. Pas davantage les égards qu’exigeait, en d’autres temps, la « morale publique ». René Micha a bien voulu accepter de présenter et d’éditer ce texte.


On voit assez bien les raisons qui ont conduit Jean Starobinski à utiliser le mot de « texte ».

On voit assez bien les raisons qui ont conduit Jean Starobinski à utiliser le mot de « texte ». D’emblée pourtant se pose, avant celle de son interprétation ou simplement de sa compréhension, la question de son statut – dont dépend l’idée qu’on peut se faire des raisons pour lesquelles son auteur a voulu le préserver (lui qui, s’il a mis en circulation des manuscrits calligraphiés, n’a laissé aucun manuscrit de travail, aucune trace de l’élaboration de son œuvre). Il suffit de parcourir ces pages, dans leur diversité, leur obscurité souvent, leur incohérence apparente et leur degré très variable de rédaction, pour avoir le sentiment d’être plutôt, comme Jean Starobinski le remarque, devant un « dossier », un recueil de notes préparatoires, laissant supposer le projet d’un livre dont il serait le « reliquat ». Cette hypothèse d’un dossier demande d’imaginer quel aurait pu être un tel livre, quelle place il aurait tenu dans l’oeuvre.

Son  sujet en lui-même , commémoration, récit, et analyse d’une relation amoureuse saisie au plan de sa dimension érotique, mais à un niveau qui engage l’identité psychique ou même spirituelle des personnages, semble approprié à un projet de roman – la datation interne fait correspondre ces notes au moment où Jouve écrit son dernier grand texte narratif, Dans les années profondes. On peut  penser également à un projet autobiographique, puisqu’elles ne sont jamais données comme une fiction, que l’un des personnages, « Mr Pierre », est évidemment Jouve lui-même et que la même relation amoureuse sera évoquée dans En Miroir, en 1954 par un récit qui ne contredit en rien Les Beaux Masques, mais où domine le souci d’expliquer le processus créateur, et qui a effacé toute crudité dans l’évocation de la passion sexuelle, présente dans le manuscrit à un degré rare. Le récit, dans En Miroir, c’est « l’histoire de Lisbé », au chapitre « Hélène » du Journal sans date. Une telle position rappelle l’importance du moment de l’œuvre jouvienne où viennent prendre place Les Beaux Masques – dont peut retrouver la trace, d’autre part, non seulement dans Sueur de Sang et Matière Céleste mais aussi jusque dans Kyrie ou La Vierge de Paris. Que l’on considère également la présence rétrospective d’un des livres « reniés », La Rencontre dans le carrefour (dont est soulignée ainsi la dimension autobiographique), et le dossier remis par Jouve à René Micha est bien au centre de son œuvre, et de la « dialectique » de sa poésie.

S’il a été confié comme un trésor

S’il a été confié comme un trésor, au lieu d’être détruit, alors qu’aucun livre ne semblait devoir en naître, et que son caractère scandaleux en aurait prévenu la publication, c’est  sans doute par la force d’un souvenir qui ne peut être oublié (Proses encore le rappelle, en 1960), mais peut-être aussi à cause d’un rôle toujours actif, et toujours une source, à la mesure de l’inachèvement, dans la conscience qu’a eue Jouve de la vérité de son travail. C’est pourquoi nous devons interroger ce « texte » qui n’en est pas un, comme le reste à nous transmis pour qu’un peu de cette vérité nous apparaisse ; et que nous mesurions à son inaccompli l’accompli d’une œuvre qui souvent a voulu effacer se traces, mais non ici, où paraît la matière irréductible dont elle est faite (…)

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Nous remercions François Lallier de nous avoir confié les premières pages de son article dont le texte intégral est paru dans L'Etrangère N° 31-32, 2013. 

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Ce texte ©  François Lallier

Dernière mise à jour : 5 octobre 2013

Première mise en ligne : 29 septembre 2013