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Lectures de
Pierre Jean Jouve

Jeunes Chercheurs




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Laurence Llorca

2008 


Pierre Jean Jouve 

l’expérience poétique au cœur de l’humain


 
Une première rencontre
   Au bout de cinq années d’études dédiées à l’œuvre de Pierre Jean Jouve, marquées par toutes sortes d’hésitations, de voies empruntées puis abandonnées, après maintes années de familiarisation avec l’œuvre poétique et romanesque de Jouve, mon intérêt s’est porté presque naturellement sur le problème de l’origine. Mon incapacité à concevoir une étude sur cet auteur limitée par les frontières d’un corpus vient sans doute du caractère profondément unifié de son œuvre. Celle-ci se construit au rythme d’un cheminement intellectuel et spirituel, elle reflète la complexité d’une existence qui puise sa richesse dans ses disparités même. Aussi, je me suis livrée au préalable à un long travail d’approche qui tente de briser, au fil d’incessantes relectures, les nombreuses résistances qu’offre l’oeuvre du poète. Cette dernière ne se livre pas facilement, elle est cette entité dont le poète dira qu’elle possède une volonté propre, un moteur en partie inconscient et qui, par certains aspects, échappe même à son créateur. La force de l’œuvre de Jouve réside en cette dimension universelle qu’interroge une quête absolument individuelle, en effet, la création du poète essayant d’entrevoir ce qu’il y a d’éternel et d’intemporel à travers la chose humaine.


Genèse d’une rupture
   Tout débute par l’histoire d’un homme. En Miroir, le Journal sans date, est l’essai où Jouve conte l’histoire de sa propre création et analyse les reniements où celle-ci l’a conduit. Il narre l’éveil d’un jeune homme à la poésie et retrace son parcours artistique : de l’aveuglement des premières tentatives à l’abolition totale de toute une production littéraire, jusqu’à l’évocation d’un investissement poétique pleinement revendiqué.

   Dès lors, l’œuvre se construit au fil des différentes mues que subit l’esprit du poète, aussi ai-je envisagé d’étudier, dans un premier essai, l’artiste sous l’angle de ses paradoxes avant d’être saisie par l’implacable cohérence de l’œuvre de Jouve.

   Il m’est apparu clairement que cette œuvre dense qui ne cesse de se renouveler dans chacune des voies qu’elle choisit d’emprunter, répondait à une nécessité intérieure qui ne s’est jamais démentie et ceci dès les premiers mots. Du décret d’un empire souverain que l’auteur exerce sur son œuvre à la confession résignée d’une création non entièrement soumise aux impérieux désirs de la conscience, nous pouvions pressentir que, dans ce début de siècle où la psychanalyse fait état de passionnantes découvertes, l’œuvre elle-même pouvait posséder ses propres déterminismes. Ainsi contre l’affirmation d’une œuvre que rythment ses ruptures, nous percevons la trame d’une création qui noue toutes ses contradictions en un projet unifié et dont chaque revirement d’âme enrichit l’idée de départ. L’œuvre jouvienne, au cours de sa formation, apparaît comme la reformulation de plus en plus fine d’une motivation initiale, qui cisèle progressivement un désir présent de tous temps chez le poète, un désir qui, au fur et à mesure de son évolution, progressera vers un idéal éthéré en s’incarnant dans des matières de moins en moins épaisses. 



La rupture comme nécessité A en croire Pierre Jean Jouve, les ruptures étaient inévitables, comme marquées dans son sang, ce qui explique que le poète apparaît comme un être sans concession, chaque exil auquel il se soumet répond à une décision irrévocable. Lorsqu’il abandonne le groupe de l’Abbaye, il délaisse en la personne de Romain Rolland, plus qu’un ami, la figure d’un père écrira Daniel Leuwers. Depuis la  unanimiste Jouve semble vouloir trouver sa propre voie, un engagement auquel il dédiera toutes ses forces de création. Puis, il se livre à une véritable œuvre de destruction, il voue au néant la totalité de sa production poétique et romanesque.  


Persistance d’un engagement poétique humaniste

   En abandonnant son rôle auprès de ses amis de l’époque, Pierre Jean Jouve ne délaisse en aucun cas son investissement humaniste et pacifiste. Pendant la seconde guerre mondiale il continue de militer pour la paix, cependant il perçoit la bataille comme infiniment plus profonde, une blessure dont la gravité atteint l’être dans son essence. La supplique de l’homme est d’ordre universelle et la guerre semble être la manifestation d’un mal d’un autre âge, d’un désespoir commun à toutes civilisations. Si l’œuvre commise lors de la première guerre émeut par l’image de l’homme souffrant et du spectacle de la chair blessée, la meurtrissure est davantage d’ordre ontologique. Dans Hôtel-Dieu, le poète est déchiré par le désespoir qu’entraîne ce terrible sentiment d’impuissance face à l’indicible effroi de l’homme confronté à la mort. Mais peut-être, déjà, pressent-on dans le choix de cet hôpital en marge des conflits sanglants, comme scène de la plus humaine douleur, la distance que tente d’instaurer le poète entre le drame véritable et le choc de l’événement, recul nécessaire pour percevoir au cœur de l’horreur cette tragédie universelle qui place l’être face à sa pauvre humanité déchue.  



Amorce d’un cheminement jusqu’au cœur immuable et éternel de l’humain

   Jouve ne s’est jamais éloigné d’un idéal pacifiste, au contraire, son humanisme n’a cessé de s’accentuer à travers l’exil, cet isolement qu’il s’inflige lui permet de s’approcher au plus près de l’être. Au-delà de ce qui n’émeut qu’un instant, il cherche les causes originelles. Au cœur du combat de 1939-1945 il perçoit une humanité au bord du gouffre qui pour son salut doit débusquer au cœur même de ses entrailles la bête immonde qui nourrit ses plus bas instincts. La guerre devient un événement apocalyptique et la lutte se mène contre le mal le plus vile, elle devient ce monstre qui se dévore lui-même et emporte avec lui l’ancien monde corrompu, seule sa disparition favorisera l’avènement de la cité de Dieu. Le poète progresse vers une perception symbolique des affrontements. Si avec Lacan nous nous accordons à penser que « le symbole est le meurtre de la chose », Jouve ne pouvait que renoncer à un premier engagement qui cherchait dans l’image et la représentation frappante des faits un sentiment momentané de commisération universelle. Ainsi Jouve tente t-il désormais de toucher l’être dans ce qu’il a de plus fondamentalement humain. L’exil entamé n’est rien d’autre qu’un retour vers soi, un cheminement/exode qui prend tous les aspects d’une initiation. 



La tentation romanesque
et
l’apport de la psychanalyse
   La production romanesque de Jouve qui s’étend de 1925 à 1937 apparaît comme une nouvelle tentative de formuler le désespoir de l’être. Le poète qui se présentait comme un émissaire divin et qui se chargeait d’ouvrir la marche vers la mémoire ancienne des origines, semble vouloir, à travers la tentative romanesque, allégoriser ce retour vers soi.
   Cependant les figures élues pour accomplir cette destinée sont choisies dans le cercle intime de l’auteur, elles sont invocations de mémoire, dernières traces d’une existence concrète et pourtant elles semblent posséder les clés qui permettent l’accès à une existence unifiée. L’expérience de l’humain semble alors se singulariser, Pierre Jean Jouve cherche au cœur de l’infime la manifestation du sublime. Les héros jouviens sont tous soumis à cette quête de soi qui s’impose à eux comme absolument nécessaire.
 Nourrie des théories psychanalytiques qui s’affirment peu à peu dans cette première partie de siècle, l’œuvre romanesque de Jouve allie à une tentation mystique une analyse presque scientifique du destin de ses personnages. 


Les personnages jouviens doivent souffrir une mutilation essentielle
   Si le roman Dans les années profondes peut apparaître comme l’application fidèle des théories freudiennes et retrace étape par étape la formation du moi du jeune héros, si la création de Léonide née de la douleur féconde qu’entraîne le deuil de la femme aimée possède tous les aspects d’une sublimation, le jeune héros de Jouve procède au sacrifice auquel chacun doit se livrer avant d’entamer un retour vers soi.
   Léonide, grâce à l’intervention d’Hélène, se détourne des capricieuses volontés de l’enfance, la mort de l’héroïne consacre son entrée dans la vie véritable où désormais il doit conquérir son être. Luc Pascal, dans Le Monde Désert, s’achemine lui aussi vers cette simplicité idéale, personnage caractérisé par sa sensualité, il plie Baladine à la perversité de son désir. Privé de l’objet de son amour il se retrouve face à lui-même avant de renier ce frère dangereux, cause de toutes les pertes et de tous les éloignements. Enfin délivré de lui-même il accueille la création, avec toute l’ampleur que ce terme peut suggérer, car l’univers entre en lui et parle. 

   Le sacrifice est inévitable, et si dans l’œuvre de Jouve il se manifeste par le sacrifice de l’autre, il est évidemment surtout sacrifice de soi. Il n’est pas sans point commun avec la foi des mystiques et la loi du Tao.


L’écriture comme confession
   La voie que trace le poète vers cet idéal du moi métisse les influences religieuses. Jouve s’inspire de même des croyances primitives en une recréation cyclique de l’univers qui ritualise la fin du vieux monde et la naissance du monde neuf. Recréation qui impose ainsi de revenir à l’origine du mythe, à la manifestation archétypale de chaque chose. Le vieux monde est détruit et avec sa disparition l’homme, de retour à une pureté originelle, voit ses péchés absous. Celui-ci doit se livrer rituellement à l’aveu de ses fautes, pour se défaire de l’être mauvais qui entrave sa progression vers le sacré. Le principe de la confession n’a pas d’autre but dans la religion chrétienne, la narration des péchés permet de retrouver une âme virginale, de même le chrétien se trouve allégé de ses erreurs passées et il s’ouvre ainsi à une vie nouvelle. Il y a dans l’œuvre de Pierre Jean Jouve ce désir récurrent de se défaire de la faute par l’énoncé de la faute perpétrée. La parole évoque la chose pour mieux l’annihiler, le mot possède alors ce pouvoir paradoxal de créer et de détruire à la fois.

   Paulina manifestera ce besoin de dire la faute pour pouvoir s’en libérer, Luc Pascal écrira le «Monde Aride » écho manifeste du roman d’où il tire son existence : Le Monde Désert, ce récit dont on ne connaît que le titre pourrait avoir les vertus d’une confession. Fanny Felicitas avouera dans Hécate éprouver la nécessité de se contempler à distance pour pouvoir se comprendre, le film de son existence qu’elle ambitionne de tourner aurait sans doute eu le pouvoir de la sauver d’un désir trop encombrant. Catherine Crachat dans Vagadu doit parvenir à formuler l’informulable, la faute tapie dans l’inconscient, pour résoudre en elle-même cette existence morcelée. La psychanalyse vise indéniablement la guérison du sujet par la parole. Quant à Léonide, dont l’œuvre est encore à l’état embryonnaire et que l’on pourrait très bien imaginer être Matière Céleste, il semble se livrer à un procédé identique. L’ode à l’amante disparue perd peu à peu son sujet et l’Hélène jadis tant aimée, si elle imprègne toujours l’écriture, laisse place au «Nada » qui est le titre donné à la dernière partie du recueil. Finalement, le Journal sans date de Jouve semble poursuivre le même objectif, le poète détruit et reconstruit l’œuvre d’une vie par un retour sur soi. 



Une quête mystique qui invite à un retour aux sources du mythe

  Cette « Vita Nuova » qui promet un état de l’âme aussi pur que celui du nourrisson est inspirée de la mystique chrétienne et de la philosophie Taoïste. Dans une pensée commune, toutes deux tentent d’accéder à la vacuité de l’âme, car celle-ci doit être purifiée de toutes les tentations de la raison pour être enfin libre d’espérer la plénitude que promet Dieu et l’univers. Toutes deux proposent un retour aux sources de l’être, elles invitent à se fondre à l’élément matriciel premier. Le taoïsme incite à retrouver en soi le souffle originel qui rythme l’univers, le souffle embryonnaire qui unit l’enfant à sa mère, le Tao concevant l’union avec les forces créatrices du monde comme un retour aux sources de la vie, l’âme s’abreuve désormais aux vérités fondatrices. C’est sans doute à ce niveau que la démarche spirituelle et poétique de Jouve confirme sa proximité avec la philosophie orientale. S’il est évident que les personnages de Jouve accomplissent tous leur chemin de croix, c’est la femme qui les accueille et leur ouvre la voie de leur mystère, c’est dans la femme, instance créatrice et nourricière qu’ils puisent pour toujours progresser vers leur but. La femme, amante et mère constitue le passage, le seuil à une existence pleinement réalisée, alors ce sont des mythes universels que Jouve convoque. L’être humain est depuis des temps immémoriaux en proie à un malaise essentiel, pour toujours incomplet, il ne peut que vouloir sa vie durant, retrouver la part manquante de son âme. L’androgyne symbolisant l’être absolument complet, les personnages jouviens oeuvrent sans relâche pour retrouver cette perfection, ils voient en l’union avec l’être aimé la solution à leurs maux. Or, cette fusion promet le couple à un conflit sans fin car la relation amoureuse ne désire qu’assujettir l’autre à sa volonté égoïste. La véritable quête des personnages romanesques, et ici je m’attacherai surtout à évoquer le sort des personnages masculins, débute lorsqu’ils acceptent de chercher en eux cette part féminine qui leur fait défaut et qui seule est apte à les révéler à leur identité véritable. Léonide consent à concevoir cette « Femme Noire » perçue en songe comme étant constituante de sa personnalité, il lui voue toute ses forces et son œuvre à naître. Luc Pascal réconcilié avec « Face de Baladine », après les conflits qui les séparaient dans la réalité, s’ouvre à une création infinie aux dimensions universelles. Cependant la métamorphose est effective seulement à la disparition de l’être charnel de la femme car c’est en eux que les héros masculins doivent trouver ce principe féminin présidant à toute création.



Un cheminement poétique jusqu’au cœur de l’anima    La poétique de Jouve semble avoir intégré cette instance et la nature dans sa totalité reproduit inlassablement cet échange qu’illustre le symbole du Yin et du Yang. Le monde se construit selon ce rapport de forces. Moins une lutte qu’un échange, le paysage possède des attributs masculins comme des attributs féminins, les roches agressives pénètrent les cieux quand les vallées accueillent l’espace. Ce dernier est mu par le mouvement lascif de formes qui reproduisent l’étreinte amoureuse.

   La femme comme principe créateur semble se rapprocher de l’anima telle que la conçoit Gaston Bachelard. Elle est ce qui fait défaut à l’animus pour s’élever en une création débridée, libérée des entraves du sombre inconscient. Elle pourrait être l’amante qu’un Orphée serait venu libérer des enfers pour l’offrir à une existence lumineuse. L’animus est la part masculine de l’âme alors que l’anima invite aux rêveries. Elle favorise ce souffle d’enfance qui renouvelle le monde au gré de son imagination, alors l’univers se construit au rythme même du corps inconscient. 



Un archétype féminin qu’il faut oser affronter

  La femme est pourtant parfois cette ombre menaçante qu’il faut aller chercher au plus profond de la matière, qu’il faut vaincre et soumettre. L’homme doit dépasser sa dualité en acceptant, dans un premier temps, d’affronter ce qu’il recèle de plus obscur, si ce n’est le vaincre, en avoir en tout cas la connaissance. La cure psychanalytique de Catherine Crachat la pousse à démasquer les monstres de son inconscient qui menacent sa tranquillité. Si dans une première réticence elle refuse de se livrer à cet effort, elle finit par le ressentir comme une imparable nécessité. L’expérience poétique de Jouve le place de même inévitablement dans un univers envahi par le désir, le sang et la culpabilité. Les personnages des Histoires Sanglantes semblent de pures manifestations d’animus en quête d’anima. 

   L’anima, substitut maternel est un être thériomorphe, entité profondément onirique, elle incarne, à la manière des mythes antiques, l’épreuve que le héros doit surmonter pou réaliser sa puissance solaire, selon les termes de C. G. Jung. 



D'un profond rêve obscur à une claire rêverie

   Il me semble que le poète lui-même souffre cette étape de sa création, les terres qu’ils traversent inlassablement sont emplies de cette présence féminine à la fois attirante et repoussante. Sueur de Sang fait du voyageur un personnage captif de ces horizons de chair qui exhalent une sensualité empesée de sang. Par sa violence, cette beauté possède quelque chose de tout à fait primitif, elle puise ses formes au cœur de l’inconscient le plus épais. Jouve paraît avoir atteint les plus profondes strates du désir, là où la poésie semble sculptée dans la matière, dans la chair et dans le sang, dans la substance même du corps. En effet, la création de Jouve s’élève irrésistiblement vers une poésie désincarnée, une poésie qui a su découvrir au cœur même du désir le plus brut la parcelle d’un espoir de salvation. 

  Cette énergie née du corps doit cependant être assagie, soumise à la claire volonté de l’artiste, pour que ce dernier forge en elle l’espoir d’accéder à la perception du divin. Si le cauchemar fait du rêveur un être agi par des puissances qui le dépassent et qui oeuvrent à le détruire, l’union avec l’anima permet une certaine réconciliation avec cette part de l’inconscient et fait de l’être le véritable auteur de sa rêverie. Celui-ci cesse d’être seulement le spectateur de ce drame intime qui se joue et devient celui qui orchestre ses représentations oniriques. 



Le souffle poétique s’élève nécessairement du corps    Jouve pressent la présence du divin au cœur du profane, le poète prévoit que l’essor qui le portera jusqu’au bleu épuré du ciel puise sa vitalité au cœur même de la matière dessinant ainsi une ligne mélodique dont l’harmonie réside dans les dissonances même que provoque un tel paradoxe. Tentant de rivaliser avec la musique qui possède cet art du contrepoint, Jouve semble vouloir superposer à un chant profond qui émerge des plus chaotiques remous de l’âme, un cantique adressé à Dieu. Cette infatigable tentation d’absolu qui habite la poésie jouvienne sait que la création est en partie charnelle et qu’elle puise dans les terrifiants spectres de l’inconscient l’élan qui le porte vers « ces cimes enneigées où rien ne respire ». D’ailleurs, si les hauteurs acquièrent une telle beauté, c’est qu’elles s’originent au creux des plus profondes vallées. Le chant du poète, partagé entre abîmes et sommets, ne cesse d’invoquer cette énergie souterraine qui génère sa création, de la livrer à une sublime métamorphose qui tient davantage du sortilège que du phénomène psychanalytique.

   La démarche poétique de Jouve semble avoir choisi d’emprunter cette voie. Son œuvre s’écrit selon un continuel dépouillement, elle s’allège d’étape en étape, cependant, toujours consciente de ses déterminismes, elle accepte le poids de la chair pour s'alléger vers ce que le poète nomme « l’or d’absence », ce précieux néant d’existence qui porte en lui l’ultime espoir d’accéder de nouveau à une divine perfection. 


L’alchimie poétique

   L’univers se colore de ces ors multiples qui participent à la désagrégation du réel, le mot semble enrichi d’un potentiel inestimable, comme purifié au terme d’un long travail de distillation. Sauvé du corps et de sa chair il accède à une sorte de pérennité. Le corps même de la défunte amante laisse entrevoir une possible salvation. Cependant, la poétique de Jouve s’ancre en se mouvement perpétuel qui va de l’objet au néant qu’il contient. Dieu ne peut être imaginé qu’en une première soumission au désir, et la tache incommensurable de l’artiste est de trouver au cœur de cette énergie la voie qui conduit au divin. 



Conclusion
   Sans doute l’échec est-il inhérent à une démarche poétique qui tend vers un tel absolu, toujours déchirée entre l’espoir d’y parvenir et son impuissance. Or, dans le cheminement spirituel et poétique de Pierre Jean Jouve ce désir d’accéder à l’essence de l’être paraît insatiable. 

   Le regard ne cesse d’affûter sa perception et tente de passer outre la trompeuse apparence du monde et de ses objets, la vérité en toute chose est ce néant conservé comme un secret et auquel le poète se doit de parvenir. L’expérience artistique devient un cheminement jusqu’au cœur palpitant du monde, elle se fraye un passage jusqu’au noyau unique de la création, elle cherche au cœur du multiple l’indénombrable, l’indéchiffrable, l’Un. Et s’il semble difficile d’affirmer aujourd’hui que Jouve parvint à réaliser cet absolu artistique, peut-être sommes nous libres d’imaginer qu’il a, en tout cas, accompli sa quête spirituelle. 

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Sous la responsabilité de Béatrice Bonhomme et Jean-Paul Louis-Lambert

Ce texte © Laurence Llorca, 2008

Texte reçu le 16 février 2008
Première mise en ligne : mars 2008
Mise à jour informatique du 6 avril 2010
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