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Henry Bauchau - La Grande Muraille - Couverture : Lionel : La Grotte

Myriam Watthee-Delmotte

Henry Bauchau

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Les Voix profondes ne s'éteignent pas 
21  septembre 2012

Henry Bauchau, le doyen des lettres belges et l’un de ses auteurs majeurs, vient de nous quitter. Sans bruit, comme il a vécu. C’était un homme de pas feutré, qui se nourrissait de silence et vivait loin des tumultes médiatiques. Un homme né en 1913 : il aurait eu cent ans le 22 janvier prochain ; tout un programme a été prévu pour le fêter, entre autres à l’Académie de langue et de littérature françaises de Belgique dont il est membre depuis 1991, et à l’Université catholique de Louvain où il avait décidé de léguer ses archives pour y créer un Fonds Henry Bauchau en 2006.

Henry Bauchau a écrit jusqu’à son dernier jour. Il voulait, disait-il, « mourir la plume à la main ». Il laisse derrière lui une œuvre capitale et sans équivalent. Il a donné une voix à ce qui reste dans l’ombre de notre société d’action trépidante : la puissance du rêve, la solidité de ce qui s’élabore dans la lenteur. Il a dit, et d’autant mieux dit qu’il l’a vécu, comment l’élan de vie qui peut prendre appui sur le doute et les déchirements. Il a refait une place dans la littérature pour ce qui, depuis trop longtemps, n’y était plus incluse : l’espérance.

Car il se disait devenu « écrivain par espérance », lui qui n’a publié son premier livre qu’à 45 ans. Jusque là, la poésie restait son jardin secret ; il écrivait en cachette tant ses rêves que son tourment face à la brutalité du monde. Être né en 1913, cela signifie en effet avoir traversé deux guerres et aussi la cruauté sans nuance des après-guerres. La vie d’Henry Bauchau a été faite de lignes brisées qu’il a toujours réussi à surmonter à force d’endurance et d’espoir, jusqu’à cette incroyable vitalité qui le faisait continuer à écrire à l’aube de son centenaire. La psychanalyse a été un déclencheur fondamental de pour lui, et c’est dans la maturité avancée que s’est déployée son œuvre, nécessairement en décalage d’une ou deux générations avec le peloton des écrivains de son temps, pas dans le ton de son époque. Or il n’est pas en retard mais en avance : la vie, il l’a déjà traversée quand il commence son œuvre, et ce qu’il y met n’est pas une matière brute mais le produit d’une lente recherche de l’essentiel.

Henry Bauchau et Myriam Watthee-Delmotte - Louveciennes 10 juillet 2012 - Photo Heinz Bouillon
Henry Bauchau
et Myriam Watthee-Delmotte

Louveciennes 10 juillet 2012
© Photo Heinz Bouillon

Henry Bauchau n’a donné dans aucune mode : il a été « simplement » lui-même, mais en disant l’acharnement du combat que représente ce « simplement », et c’est en cela qu’il nous touche. Il ne nous a pas invités à s’affirmer, mais à résister aux puissances qui nous avalent : les attentes familiales, la tyrannie des affaires, le poids du politique, les œillères du culturellement correct… Avec des mots désarmants de simplicité, il a rétabli des valeurs jugées obsolètes comme la patience ; il a revendiqué le droit à l’ignorance et l’inquiétude, contre les technocrates du tout-savoir. Il nous a aussi remis en lien avec nos racines oubliées, car le mythe antique, sous sa plume, nous a tout à coup parlé d’aujourd’hui : son Œdipe errant dans l’exil, son Antigone rebelle, Polynice qui règne sans royaume, Ismène qui se tait parce qu’elle protège un enfant, ce sont des parts de nous-mêmes qu’ils mettent à l’avant-plan. Et surtout, dans chacune de ses œuvres, à côté de la présence massive des puissants, Henry Bauchau a donné la parole aux fragiles, aux lents, aux déclassés. Il a voulu « dans le champ du malheur, planter une objection ».

Cette voix si chère à tant de lecteurs, si singulière dans le tremblement de ses presque cent ans, aujourd’hui s’est tue. Mais comme l’Antigone de son roman, elle va continuer à nous parler à travers ses livres, et d’autres voix s’en empareront pour porter plus loin ce qu’il a fait. Cette semaine même se donne à La Chaux-de-Fonds l’opéra de Pierre Bartholomée dont il a écrit le livret. Comme l’Œdipe de son roman, Henry Bauchau est maintenant « encore, toujours sur la route ».


Myriam Watthee-Delmotte


Directrice de recherches du FNRS
Professeur à l’Université catholique de Louvain
Membre de l’Académie royale de Belgique
Directrice scientifique du Fonds Henry Bauchau de l’UCL




Lien avec le Fonds Henry Bauchau de l'Université catholique de Louvain
http://bauchau.fltr.ucl.ac.be/


Henry Bauchau - La Grande Muraille - Couverture : Lionel : La Grotte  © 2012, Myriam Watthhe-Delmotte pour le texte

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